Championnat du monde 2021

Présentation du championnat du monde des échecs, 2021

par Emmanuel Neiman (entraîneur Fide et auteur)

1. Modalités
Le championnat se joue en quatorze parties, à partir du vendredi 26 novembre 2021, à Dubaï. Les parties se joueront à 13h30 – heure française -, et seront retransmises en direct, commentées par les principaux sites. En cas d’égalité, un départage en parties rapides (puis, blitz, si nécessaire) est prévu – ce départage est intervenu une fois sur deux (quatre fois en huit championnats) depuis la nouvelle formule de 2006.

2. Joueurs
Magnus Carlsen (Norvège) est le n°1 mondial incontesté depuis 2010, champion du monde en titre. Ian Nepomniachtchi (Russie) son challenger, qualifié par le tournoi des Candidats 2020-2021, 5e mondial actuellement, ne fait partie du top mondial que depuis 2017, bien qu’il soit un peu plus âgé que le champion. 

3. Cote
Entre 1.28 et 1.35 contre un pour MC, entre 3 et 3.5 contre un pour IN

4. Style des joueurs 
MC : « Un mélange détonant de Karpov et de Fischer » selon Kasparov. Apprécie les positions calmes, statiques, où sa compréhension du jeu et son génie positionnel s’exprime le mieux. Excellent dans pratiquement tous les domaines, certainement le joueur le plus complet de l’histoire.
Plus de détails ici -lien vers The Magnus Method.
IN : Joueur attiré par les positions dynamiques et complexes, voire chaotiques -Nepo adore les situations tactiquement obscures, domaine où MC est moins à l’aise. Il est excellent en finales, grâce à son exceptionnelle aisance pour calculer rapidement des lignes assez courtes. Cette facilité l’amène à jouer extrêmement rapidement, y compris parfois lors des moments décisifs de la partie- ce qui constitue également son défaut principal. D’un autre côté, en jouant très vite il amène ses adversaires dans une zone d’inconfort, en les obligeant à se presser également

5. Rencontres précédentes
Les joueurs sont nés la même année et se sont joués dès l’enfance. IN a un avantage –  voire un ascendant – très clair en parties lentes de quatre victoires contre une (sans compter les nulles) et résiste bien en blitz et en rapide. C’est la bête noire du champion Norvégien, le seul joueur qui le domine en face à face. Fréquemment, il arrive à entraîner MC dans des positions peu claires voire confuses, où les bonnes décisions ne reposent pas sur la logique seule. Le fait que le challenger mène largement contre le champion est aussi une première avant un championnat du monde. Pour résumer, chacun des deux joueurs aspire à dominer l’autre dans des positions complexes – complexes stratégiquement pour Carlsen, complexes tactiquement pour Nepomniachtchi

6. Approche du match
Les deux joueurs se sont préparés de manière différente. MC a beaucoup joué, y compris des blitz sur lichess quelques jours avant le championnat, fait confiance à son équipe habituelle (Nielsen+ Fressinet) avec quelques invités. Nepomniachtchi bénéficie de l’expérience des Russes, experts dans la préparation de tels évènements, avec son entraîneur principal Potkin plus une équipe importante (Karjakin notamment) et des moyens financiers et technologiques presque illimités. Il a décidé de faire un régime (en perdant dix kilos) pour soigner sa condition physique.
Avant le match, Carlsen a fait quelques déclarations affichant sa confiance. Il a répété ce qu’il avait déjà déclaré auparavant : Nepo selon lui n’est pas le plus fort challenger possible, c’est un bon adversaire pour lui. Il le connaît bien et il va essayer de prendre l’avantage dans les premières parties. Cette stratégie d’annonces spectaculaires est fréquente en boxe, beaucoup plus rare aux échecs, mais elle constitue une tactique habituelle de Magnus, visant à troubler son adversaire dès avant le match.

7. Quelles ouvertures seront jouées ?
Aujourd’hui, cela est de plus en plus difficile à prédire dans la mesure où l’effet de surprise est généralement recherché.
La question principale, et l’une des clefs du match, est de savoir si Nepo jouera sa Grunfeld habituelle – ouverture contre laquelle Carlsen réussit bien. La logique voudrait que le Russe change, mais quelle ouverture lui permettrait-elle d’avoir des positions complexes et d’obliger le champion à se plonger dans des calculs dès les premiers coups ? On peut penser à la Semi-Slave, à la fois solide et compliquée.
Avec les Blancs, Nepomniachtchi devrait jouer 1.d4 car Carlsen durant les championnats du monde s’est montré quasi invulnérable contre 1.e4. Les deux joueurs pourraient tenter 1.c4 pour varier.
Que jouera le champion avec les Blancs ? En championnat du monde, il a déjà joué à plusieurs reprises quatre coups différents. Son coup le plus agressif est 1.d4 (quand il veut gagner), son coup le plus stable est 1.e4 (quand une nulle lui convient). Donc, je pense que l’on aura beaucoup de parties commençant par 1.d4, ce qui serait une première dans les championnats joués par le Norvégien. Avec les Noirs, Magnus a déjà tout joué, et varie énormément mais en championnat, il se concentre sur une ligne principale contre e4 et d4. Contre 1.d4 et contre Nepo, un choix logique serait la Nimzovitch, et le Gambit- Dame si les Blancs la refusent. Contre 1.e4, son coup habituel 1…e5 est attendu.
Au delà des ouvertures choisies, dont aucune ne peut prétendre gagner en elle-même, l’objectif des deux joueurs sera d’amener des positions forçant l’adversaire à être confronté à des problèmes qu’il n’aime pas résoudre.

8. Mon pronostic
Je vois Carlsen gagner facilement malgré son score passé défavorable. Il est plus complet, et peut jouer plus de positions, amener le Russe sur un terrain où il sera peu à l’aise, car lui (MC) est capable de jouer toutes les ouvertures, et tous les styles de positions – notamment toutes les structures de pions. Nepo résiste très mal à la défaite, s’il perd rapidement, il pourrait s’écrouler, malgré toute la préparation qu’il a pu mener. Il arrivera en forme, au top physiquement, mais la psychologie particulière d’un joueur ne se modifie pas en six mois.
Un autre scénario est possible bien entendu : si MC ne gagne pas rapidement, il s’énerve parfois, prend davantage de risques et peut se retrouver en danger, comme ce fut le cas en 2016 contre Karjakin.
Si le match devient serré, vers la fin ou même dans les départages, Carlsen malgré sa force mentale va douter, et tous les mauvais souvenirs accumulés dès l’enfance contre Nepomniachtchi peuvent ressurgir : le Russe lui a déjà « coûté » un championnat d’Europe et un championnat du monde en catégories jeunes ! Et le Russe a l’art de mener les parties hors des sentiers battus, forçant le logicien Norvégien à prendre des décisions à partir de données aléatoires et obscures.
Mais je n’y crois pas, simplement parce que Carlsen est un bien meilleur joueur.
Mon pronostic : 4 à 0 en onze parties.